Accès à la justice : Les pensionnats doivent faire partie du récit de l’édification de la nation canadienne
par Tricia Logan
septembre 2021
Tricia Logan
J’ai été invitée à participer à la chronique Accès à la justice de la très honorable Beverley McLachlin et c’est dans ce contexte que je vous fais part de mon point de vue sur la nouvelle ère dans laquelle nous entrons, en ce qui a trait au système des pensionnats indiens au Canada.
Le 27 mai 2021, la Première Nation Tk’emlúps te Secwépemc a rendu publics les résultats du rapport préliminaire d’une enquête menée sur la fosse commune anonyme située près du Pensionnat indien de Kamloops. Les survivants, leurs familles et les collectivités environnantes connaissent l’existence des sépultures situées près du verger de pommiers et du terrain de l’école depuis son ouverture. Ce qui est nouveau et constitue une « découverte » récente, ce sont les rapports de géoradar (GPS) qui confirment une grande partie de ce que la collectivité savait déjà sur le nombre d’enfants enterrés dans des fosses communes ou non marquées. À la suite de ce rapport, les collectivités des Premières Nations, des Métis et des Inuits de tout le Canada ont fourni des récits, des preuves et des renseignements recueillis grâce au géoradar et aux fouilles archéologiques, le tout en marge d’un dialogue naissant et en évolution au Canada. Des collectivités ont entrepris ou poursuivi des enquêtes sur les anciens sites des pensionnats dans l’ensemble du Canada.
En ma qualité d’historienne spécialisée sur la question des pensionnats au Canada, j’ai eu l’honneur et la responsabilité d’écouter et d’enregistrer les récits des survivants, y compris les survivants intergénérationnels, pendant deux décennies. Ces récits ne sont pas nouveaux, mais il y a une nouvelle réponse et un nouvel appel pour nous occuper de ces enfants qui ne sont jamais revenus des pensionnats.
Les survivants, les historiens et les anciens autochtones remettent en question la façon dont on a raconté la manière dont le Canada était devenu une nation. Il n’est plus acceptable de propager un récit sur la constitution de la nation sans tenir compte du rôle joué par les pensionnats pour forcer l’expulsion des enfants des nations autochtones de leurs foyers. Les survivants et les collectivités autochtones ont transformé le récit historique du système scolaire et de l’histoire du Canada, ce qui a des répercussions sur nos collègues dans le domaine du droit et de la justice qui réclament des changements afin de remédier aux traumatismes historiques dont les conséquences ont été sous-estimées au Canada.
À la suite du Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones en 1996 et du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) en 2015, près de 20 ans plus tard et, ultérieurement, lorsque le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (FFADA) a été publié en 2019, un autre changement d’orientation s’est produit. L’ère post‑CVR (2015-2020) transpose maintenant la conversation sur la responsabilité au-delà de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, vers une justice pour les crimes et les violations massives commis dans les pensionnats, en particulier ceux où il y a eu des décès et des enterrements.
Il y a eu une réaction d’un océan à l’autre aux « nouveaux » renseignements rendus publics sur les lieux de sépulture des pensionnats. Une nouvelle conversation a également recadré le terme « survivant », puisque ceux qui ont survécu parlent maintenant au nom de ceux qui ne sont jamais rentrés chez eux. De plus, leurs voix représentent un nombre non quantifiable d’enfants qui ont disparu, qui ne sont jamais rentrés chez eux, mais qui ne sont peut-être pas morts. Des milliers d’enfants ont été renvoyés ou se sont enfuis des pensionnats et ne sont jamais retournés dans leur collectivité. Certains ont trouvé un emploi et un nouveau foyer dans les centres urbains; bon nombre d’entre eux représentent un nombre disproportionné de survivants, y compris des survivants intergénérationnels, qui sont incapables de retourner chez eux, qui ont été incarcérés ou qui ont eu des démêlés avec le système judiciaire canadien. La nature cyclique des récits et les séquelles persistantes de ces pensionnats, du colonialisme et du système judiciaire sont indéniables.
Les survivants nous rappellent qu’à partir du moment où les élèves d’un pensionnat quittaient l’établissement pour rentrer chez eux ou étaient renvoyés de l’établissement, ils portaient en eux les histoires de leurs camarades de classe, de leurs amis et des membres de leur famille qui sont morts dans les pensionnats. La vie quotidienne dans ces écoles aujourd’hui connues pour leur taux élevé d’abus physiques et sexuels, de négligence, de malnutrition, de maladies et de décès était souvent traumatisante et entachée d’injustices. Par ailleurs, les camarades de classe, mais aussi des enseignants et des membres du clergé ont pu faire preuve d’une grande gentillesse et beaucoup d’égards pour les élèves. Ce système scolaire qui a fonctionné pendant plus de 150 ans et à plus de 150 endroits au Canada est fort complexe et les personnes qui l’ont connu sont les mieux placées pour l’expliquer.
Le système des pensionnats indiens a fonctionné au Canada de la fin des années 1800 jusqu’à la fermeture de la dernière école en 1997. On sait que des élèves sont décédés dans ces écoles; cela fait partie de leur histoire et de l’histoire des collectivités des Premières Nations, des Métis et des Inuits au Canada depuis plus d’un siècle. Ces nouvelles enquêtes portent une attention nouvelle ou renouvelée à la contextualisation canadienne du génocide, du génocide colonial, des sépultures anonymes et des fosses communes.
Le génocide fait partie du vocabulaire de base utilisé par les nations autochtones depuis ses origines en 1948. Les peuples autochtones ont des définitions solides et bien établies du génocide, et nombre d’entre elles sont utilisées pour décrire leur séjour dans les pensionnats et les systèmes affiliés de contrôle colonial. Cependant, il est rare que l’on s’entende sur la façon d’utiliser ou de poursuivre les définitions du génocide dans un contexte canadien en dehors des collectivités autochtones. La compréhension sociale, politique, économique et culturelle du génocide ne concorde pas toujours avec les définitions juridiques. Le droit international et la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide des Nations Unies orientent souvent la définition canonique du crime de génocide, mais les génocides coloniaux et de colonisation nous forcent à redéfinir ce que signifie le génocide pour les nations autochtones. Les spécialistes du génocide de toutes les disciplines sont également appelés à décoloniser les études sur le génocide et à considérer le génocide tel qu’il est défini du point de vue des autochtones et en utilisant des épistémologies autochtones.
De plus, des voix s’élèvent maintenant pour réclamer une enquête indépendante sur les crimes en rapport avec les sites d’inhumation massive des pensionnats et pour nommer un rapporteur spécial indépendant. Les conclusions de la CVR et de l’Enquête nationale sur les FFADA renforcent l’importance des enquêtes indépendantes pour éviter que les gouvernements du Canada et des provinces, la GRC et les entités religieuses catholiques et protestantes ne soient désignés comme enquêteurs de leurs propres crimes.
La Commission de vérité et réconciliation a publié un rapport intitulé Enfants disparus et lieux de sépulture non marqués, dans le cadre duquel les auteurs ont effectué des recherches pour confirmer le décès d’un certain nombre d’entre eux. À la fin des travaux de la Commission, le Centre national de vérité et de réconciliation a poursuivi les recherches et, en réponse aux appels à l’action, a créé un Registre commémoratif dans lequel sont consignés les noms de plus de 4 000 élèves décédés. Les chiffres ne représentent que ceux qui ont été trouvés dans des documents d’archives obtenus pendant les travaux de la CVR. Les dossiers encore conservés par les organismes religieux catholiques et protestants, ainsi que par les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral, présentent un intérêt croissant et immédiat. Les survivants, y compris les survivants intergénérationnels, et leurs familles réclament plus d’informations depuis plusieurs décennies. On sait que leurs parents, leurs amis, leurs camarades de classe sont morts, mais on ne sait pas comment ils sont morts, où ils ont été inhumés, si ces inhumations constituent un crime. Autant de questions qui restent sans réponse.
On sait également que des appels à la justice ou à l’obligation de rendre compte de ces décès sont au cœur des enquêtes en cours. Des collectivités et des particuliers ont organisé des cérémonies et ont honoré et commémoré les enfants morts dans ces écoles. Mais beaucoup attendent encore, tandis que les appels à la responsabilité et à la justice, de même que les demandes d’accès à l’information, se multiplient dans tout le pays. Les appels à la justice en lien avec les cimetières et les sites d’inhumation sont intrinsèquement liés à la nécessité pour les communautés de surmonter les traumatismes, de guérir et de témoigner du respect pour les cérémonies individuelles et communautaires qu’il a fallu suspendre, parfois pendant des décennies, dans l’attente de plus de renseignements.
Par ailleurs, la désinformation a récemment alimenté la violence, le déni et la peur, créant des distorsions dans les espaces de la vérité. La promotion de la vérité et de la sécurité a été portée à bout de bras par les survivants, mais ces efforts ont encore besoin d’être partagés. Les réactions à la violence et au négationnisme font injustement ombrage à la guérison et à la force des communautés de survivants. Un travail considérable reste encore à faire pour soutenir les familles et les collectivités, soutenir les enquêtes indépendantes et prendre soin des lieux de sépulture et les respecter. Néanmoins, si nous écoutons l’ensemble du message, nous pouvons également entendre les enseignements et les connaissances transmis sur la guérison, la résistance et la façon d’affronter les traumatismes, la perte et le chagrin avec respect.
Les Premières Nations, les Métis et les Inuits se sont soutenus les uns les autres et ont été soutenus par les communautés de survivants. Ils dirigent eux-mêmes ce travail et disposent de systèmes de soutien particuliers pour traiter les traumatismes à l’échelle de la collectivité. Leur résilience a favorisé l’émergence de chefs de tout âge et d’approche de toutes sortes. Les collectivités des Premières Nations, des Métis et des Inuits seront à la tête de cette nouvelle ère, mais il est clair qu’il faudra leur apporter du soutien.
Tricia Logan est professeure adjointe à l’école de l’information de l’Université de la Colombie-Britannique et chercheuse invitée à l’Indian Residential School History and Dialogue Centre depuis 2019. Tricia est une universitaire métisse qui compte plus de 20 ans d’expérience de travail auprès des collectivités autochtones du Canada. Elle a occupé des postes au Centre national pour la vérité et la réconciliation, au Musée canadien des droits de la personne, au Centre des Métis de l’Organisation nationale de la santé autochtone, à la Fondation autochtone de guérison et à la Fondation autochtone de l’espoir.