Accès à la justice : Cela signifie prendre soin des personnes et du système

Andromache Karakatsanis

Je suis ravie d’écrire ma première chronique sur l’accès à la justice à titre de nouvelle présidente du Comité d’action sur l’accès à la justice en matière civile et familiale. Je suis reconnaissante à Beverley McLachlin de son travail au sein du Comité d’action ainsi qu’au juge en chef Wagner de son dévouement en matière d’accès à la justice – et de m’avoir nommée à ce poste.

Comme ancienne avocate, présidente de la Commission des permis d’alcool de l’Ontario, sous‑ministre de la Justice et juge de trois cours distinctes, j’ai eu le privilège d’observer notre système de justice sous différents angles. Je sais que le règlement des différends dans n’importe quel contexte – officiel ou informel – peut être compliqué, stressant, long et coûteux, même dans un système aussi réputé que le nôtre. La population canadienne devrait être fière de ce système; il fait partie des meilleurs au monde. Et ceux qui le portent chaque jour nous font honneur, même si leur travail est rarement reconnu. Cependant, il y a encore beaucoup à faire. Ce n’est un secret pour personne que l’accès à la justice – en particulier pour les plus vulnérables – est un défi constant de notre époque.

Que signifie l’accès à la justice? Les tribunaux se posent cette question depuis un certain temps. Dans l’affaire Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, la Cour suprême a jugé que la justice civile devenait, pour les Canadiens ordinaires, trop lente et coûteuse. Elle a préconisé un « virage culturel » afin de « créer un environnement favorable à l’accès expéditif et abordable au système de justice civile ».

Cependant, l’accès à la justice ne se résume pas à obtenir une décision de façon rapide et peu coûteuse. Il ne s’agit pas seulement d’avoir accès aux tribunaux, de régler des différends et de faire exécuter des décisions, mais aussi d’obtenir un résultat juste, quels que soient nos antécédents ou notre situation. Les tribunaux, en dépit de leurs vertus, n’ont pas le monopole à cet égard.

L’expression « accès à la justice » a, sans aucun doute, de nombreuses significations. Lorsque je pense à mes propres expériences, trois choses en particulier me viennent à l’esprit.

La primauté du droit : L’accès à la justice concerne, en partie, le processus et les coûts, mais surtout l’accès à la justice à proprement parler. Sans justice, la primauté du droit deviendrait, au mieux, une expression à la mode et, au pire, une couverture pour les abus. Le public doit avoir confiance non seulement dans l’existence d’un système de lois accessible, mais aussi dans le fait que ces lois sont le fondement et le reflet de nos valeurs – intégrité, respect et dignité – de sorte que même un résultat défavorable puisse être considéré et reconnu comme équitable. En promouvant l’accès à la justice, le système judiciaire permet à chacun de faire entendre ses préoccupations. Il garantit une égalité réelle aux personnes défavorisées et marginalisées dans notre société. Il est le fondement sur lequel s’épanouissent la société civile et les relations entre le gouvernement et la population.

La pensée systémique a de la valeur : L’accès à la justice est un enjeu aux multiples facettes et, dans la mesure où cet enjeu est ancré dans la pauvreté, la marginalisation et d’autres problèmes systémiques, il nécessitera la mise en œuvre de vastes mesures et de solutions systémiques. Aucune institution ne détient, à elle seule, toutes les réponses; il convient de faire appel à notre sagesse collective. Le fait que les acteurs du système judiciaire subissent des contraintes différentes, tirent des avantages différents et apportent une expertise différente relativement au règlement de nos problèmes communs peut constituer un atout considérable. Cependant, nous ne pourrons trouver des réponses que si nous travaillons de concert et que nous examinons les choses dans leur ensemble. Que ce soit les avocats ou les parajuristes, les groupes de défense ou de lutte contre la pauvreté, les tribunaux, les cours ou les gouvernements, nous pouvons tous contribuer de différentes manières à éliminer les engorgements, les obstacles et les inégalités systémiques afin de garantir un système judiciaire efficace, crédible et accessible pour tous.

Se soucier de la personne : Nous ne devons jamais oublier que l’accès à la justice concerne les personnes. Comme avocate et juge de première instance, j’ai pu constater à quel point il peut être difficile pour les particuliers de régler des problèmes juridiques dans un système dont les règles et les procédures peuvent parfois sembler obscures. Les cours servent de dernier recours pour régler les différends. En revanche, les solutions offertes par les cours ne sont pas toujours optimales. Nous pouvons promouvoir et favoriser d’autres méthodes mieux adaptées aux besoins et aux capacités des personnes concernées. L’État peut jouer son rôle en établissant des règles favorisant le franc‑jeu et l’application de la loi dans le cadre des processus privés de règlement des différends et en garantissant aux particuliers l’accès à diverses options.

Comme présidente du tribunal, j’ai appris que les tribunaux et les décideurs administratifs, dont les fonctions touchent de nombreux aspects de la vie quotidienne – des prestations sociales au contrôle des loyers en passant par les permis d’alcool – figurent souvent en première ligne de la justice quotidienne. Les autres professionnels du règlement des différends ont aussi un rôle essentiel à jouer. Nos efforts en matière d’accès à la justice devraient contribuer à renforcer et à étendre la portée de ces solutions de rechange, et mettre l’accent sur l’obtention de résultats justes, efficaces et accessibles. Ce qui importe, en fin de compte, est de servir les personnes qui se cachent derrière chaque différend.

Je sais que les nombreuses personnes qui participent aux travaux sur l’accès à la justice partout au Canada partagent ces points de vue. Je sais aussi qu’il y a encore beaucoup à faire. Nous devons donc unir nos forces. Qu’il s’agisse de la conception de systèmes et de processus, de défense, d’éducation ou d’aide juridique, nous aurons besoin de solutions précises et ciblées pour régler des problèmes particuliers, ainsi que de solutions créatives pour régler les aspects systémiques du problème. Toutefois, nous devons aussi reconnaître que les forces qui font obstacle à l’accès à la justice sont le reflet des préoccupations plus vastes d’une société juste. Notre réponse au problème en dit long sur notre société.

À titre de présidente du Comité d’action, il me tarde de prendre part aux conversations et aux activités qui contribueront à notre travail et qui permettront d’exprimer ces préoccupations dans l’avenir. J’ai l’intention d’utiliser cette chronique pour faire connaître les expériences, les histoires et les points de vue d’autres personnes. Des efforts importants sont déployés pour surmonter les obstacles systémiques, pour innover et pour servir les personnes au cœur du système juridique qui nous est cher, et nous pouvons tous tirer des enseignements de ces efforts.

La juge Andromache Karakatsanis est la nouvelle présidente du Comité d’action sur l’accès à la justice en matière civile et familiale. Ancienne avocate du secteur privé, présidente de la Commission des permis d’alcool de l’Ontario et dirigeante au sein de la fonction publique, elle a été nommée à la Cour suprême du Canada en octobre 2011.

Crédit photo : Jessica Deeks

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